Nicolas Ramel
Nicolas Ramel est résident à Astérides en 2010.
« Oeuvres fléchées ? »
I. Mauvaise foi ?
À l’origine de nombreuses œuvres de Nicolas Ramel, on trouve une collecte d’artefacts de diverses provenances. Une forme détermine à chaque fois la cohérence de l’ensemble. Elle peut être circulaire, en arc, en forme de flèche. Citons également 99 Lists of Things to Do-Procrastination (2009) soit une kyrielle de listes de choses à faire.
La série Found Arches I&II (2010) rassemble des unités, chacune tenant à la représentation d’un élément arqué, trouvé sur le chemin de l’artiste de manière plus ou moins hypothétique. Le temps de la genèse de la série peut s’allonger, laissant patiemment s’ajouter de nouvelles acquisitions. Si l’esthétique de l’objet trouvé est présente en filigrane, elle n’est pas synonyme de passivité ni équivalente à la posture zen d’un adepte du I-Ching qui laisse une place importante au hasard total à la suite de la mythologie d’artistes Fluxus comme John Cage ou Alison Knowles. Ainsi, Nicolas Ramel demande autour de lui des listes de choses à faire qui complètent celles ramassées un peu partout. Il n’hésite pas, même si c’est plutôt rare, à créer lui même un des éléments de la série Cyclic III (2009) tout comme il opère des sélections dans la liste arrêtée. Ses séries ne sont pas réellement des inventaires.
Dans un petit texte mis en ligne sur son site, sans donner d’exemple précis, il qualifie sa démarche comme frisant parfois la mauvaise foi et on ne le démentira pas. Et ce à plus forte raison qu’elle empêche une certaine austérité emblématique de l’esthétique de la série et de la liste, de la répétition dans l’art contemporain, plus particulièrement pour l’art conceptuel. De plus, une fois reconnue, cette manipulation salutaire permet de reconnaître et d’apprécier la gymnastique à laquelle sont soumises une partie des œuvres…
II. Compromis
… Cette gymnastique permet de jouer de l’écart entre deux repères, presque intemporels, correspondant aux paramètres de la liberté en art. Premièrement, il y a l’intention de l’artiste révélée ici par la logique sérielle et qui recoupe parfois, comme pour les exemples cités ci-dessus, la volonté obsessionnelle du collectionneur quoique détournée ici. D’ailleurs, la procrastination, pour citer la partie d’un titre donné par l’artiste, pourrait être interprétée comme étant le pendant ou la parodie de la pratique de la collection. Mais, Nicolas Ramel peut alors se montrer quelque peu accommodant lorsqu’il laisse au temps le soin de révéler les motifs d’une série. Or, il exploite finement cette soi-disant opposition, en s’y interférant, et celle-ci devient alors presque imperceptible. Pour donner d’autres exemples, il a souvent recours à la poétique de la boucle, finalement assez proche de celle de la série. Sa vidéo Offshoot (Cross Here, 2010) consiste en une succession rapide de photographies de flèches giratoires du macadam de Séoul dont l’enchaînement est répété plusieurs fois au même rythme qui malgré tout semble varier à chaque itération de la séquence en raison de l’incapacité du cerveau à se souvenir des 136 images. Par conséquent, il devient presque impossible de discerner les différentes séquences et de comprendre immédiatement la logique de la vidéo. L’impression d’aléatoire est donc bien provoquée, même si elle n’est pas actée par un état de fait. Cela montre qu’elle est d’abord inhérente à un travail sur l’économie du temps dans l’œuvre, sur la perception du spectateur et non sur la philosophie de vie de l’artiste. Ces effets reprennent en partie ceux du flip book qui contient cette dynamique de manière intrinsèque. Ce médium a d’ailleurs été utilisé par l’artiste pour ces mêmes flèches tout en dépassant la trame narrative qui en soutient normalement l’usage (D’ordinaire on va d’un point A à un point B). Chaque utilisateur du flip book infléchira une vitesse différente à la lecture, à un moment précis.
Cette expérience du temps est également recherchée dans la spécificité de chaque exposition. En effet, l’artiste essaie de ne jamais exposer deux fois une même œuvre de manière identique.
Pour les séries Cyclic III et 99 Lists of Things to Do-Procrastination, deux modes d’homogénéisation presque opposés sont mis en place pour créer ces ensembles et ils montrent combien les extrêmes sont intimement liés. Pour la première série, Nicolas Ramel retravaille numériquement les différentes images, matérialisées ensuite grâce au tirage laser et toutes définies à la même échelle, de l’ordre de 10-12 cm. Chaque disque s’inscrit dans un réseau de trames faisant apparaître chacune d’entre elles comme un ensemble de cercles subdivisés. Quant au deuxième ensemble, il reproduit au sein d’un livre, à la manière de fac-similés, la sélection d’un tiers des listes collectées à l’échelle 1 si bien que certaines des listes sont pliées et ce sur un fond noir aussi neutre que possible. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de créer une logique de coexistence entre ces petits riens, que cela implique un remodelage ou un travail plus en retrait.
III. La forme
Chez Nicolas Ramel, la fixation des termes n’est pas essentielle voire bannie, ce que peut révéler le titre de sa série Between The Lines II (2009) et les jeux entre pleins et vides qui sont fréquents dans son travail, à commencer dans cette dernière œuvre. Le pragmatisme sous-tend nombre de ses travaux et si les idées précèdent la mise en œuvre, elles sont étroitement liées à la forme.
Le tracé de Untitled (Path, 2008) induit une ambiguïté intéressante car l’espace environnant la ligne se prête à diverses interprétations par les spectateurs dont l’une est récurrente. En période de crise économique, il peut devenir le vide codifié indiquant l’ampleur d’une courbe mathématique alors que la volonté première de l’artiste était celle de représenter le trajet d’un train : le vide devient plein. Sur cette toile, le traitement de l’espace se confondant avec la planéité de la toile explique de telles divergences de sens.
Comme pour la collection, le formalisme est un mot qui peut être naturellement susurré au sujet de l’œuvre de l’artiste mais qui prononcé de manière articulée perd de sa pertinence. Il en va de même pour le référé qui est souvent un prétexte à la mise en forme d’un nouveau projet comme nous l’avons vu avec Untitled (Path). Parfois, il résiste quand le sujet l’exige. C’est le cas d’A/V Sketch #2 (Bad Breath, 2009) et d’A/V sketch#1 (Führerin, 2009). Dans la première, on voit l’un des essais de bombe atomique de l’armée américaine dans les îles Bikini répété en séquences plus ou moins longues, et soutenues par le son qui appuie le rythme de la vidéo. De plus, la superposition du son à l’image défie plus encore le spectateur de discerner les manipulations de l’archive visuelle au montage. Il est difficile de différencier le son de l’image, de s’extraire d’un certain hypnotisme encouragé par la respiration d’un homme dormant. Lorsque l’homme inspire, l’explosion est visionnée dans le sens réel de l’événement tandis que lorsqu’il expire, elle est vue à rebours. Ce souffle remplace le bruit réel d’une explosion, l’adoucit à moins qu’il ne s’agisse de l’inverse. Le titre entre parenthèses pollue la respiration qui s’avère en réalité être le souffle d’un individu souffrant de l’apnée du sommeil. Il empêcherait alors toute échappatoire. Traduit en français, il signifie mauvaise haleine. Seule cette langue permet que le souffle s’applique tout autant à la respiration humaine qu’à une explosion. Les jeux sur la langue française et/ou anglaise, sur la traduction, redoublent les jeux de chassés-croisés entre son et image.
IV. Encore la forme
A l’inverse des travaux des artistes conceptuels de la première heure, la concrétisation des idées n’est donc pas secondaire. Cela peut même nécessiter l’emploi de techniques auquel l’artiste doit se familiariser. Il se forme d’abord en tant que peintre et dessinateur au Edinburgh College of Art. Puis, après une pause durant laquelle il contribue à la création de trucages puis de décors pour le cinéma, il reprend une pratique artistique aux Beaux-Arts de Cergy. Il se familiarise alors à des techniques moins traditionnelles, faisant par exemple l’usage de la vidéo ou de Processing. Néanmoins, la pratique de la peinture et du dessin innervent nombre des œuvres, et pas seulement lorsqu’il s’agit de peinture à proprement parler. La toile tendue est régulièrement utilisée et la profondeur est ici rendue physiquement par son évidement, génératrice de nouvelles formes. Pour revenir aux rapports entre plein et vide, ils parcourent différents médiums. L’univers de la peinture est ainsi reliée à celui de la vidéo par ce biais mais aussi par celui de l’iconographie. La flèche est alors le meilleur exemple. Ce qui existe d’abord comme signe, traduisant l’intimation d’un ordre plus que tout autre représentation dans le travail de Nicolas Ramel, est ensuite soumis à la fragmentation dans Seoul Arrow # 36 (Extrusion, 2010) ou Seoul Arrow # 36 (Substraction, 2010). Marquées par l’usure, par les pas de millions de piétons, le soleil et les intempéries, les flèches finissent par incarner un autre ordre dont Nicolas Ramel s’empare. Est-ce parce que dans le paysage urbain de Séoul, les flèches symbolisent une véritable maîtrise de la circulation par la séparation des deux sens de la circulation que le hasard refait surface ? Dans Seoul Arrows (Randomized compositions I, II, III, IV & V, 2010), tout s’emballe. Les compositions se basent sur un programme de tirage tirant des chiffres. A chaque fois, parmi 136 solutions, s’affiche la direction d’une nouvelle flèche de manière aléatoire : elle peut s’orienter de 0° à 360° et se positionner le long des axes horizontaux et verticaux, respectivement de 0 à 60 cm et de 0 à 45 cm.
Le format du tableau est le même pour les compositions, dont le nombre devrait augmenter dans l’avenir, la série pouvant se multiplier presque à l’infini jusqu’à l’épuisement de toutes les possibilités. Ainsi, il arrive souvent qu’une flèche soit tronquée par le hors champs. C’est en cela que l’artiste impose son système à lui qui permet que celui de la série ne tourne pas sur lui même. Les toiles ainsi ouvertes laissent le dynamisme des flèches se développer hors de l’espace trop exigu de la série pour concerner aussi l’espace physique du spectateur.
Finalement, l’artiste croit en la forme agissante à tel point qu’elle peut faire disjoncter l’interprétation à la manière de ces boucles discordantes, de ces flèches traversantes et finalement détournées.
Texte de Constance Moréteau, mars 2011
Le portrait de Nicolas Ramel a été réalisé dans le cadre d’une invitation à Portraits, la galerie.