Triangle-Astérides

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Exposition

Entre-deux

Exposition collective avec Milutin Gubash, Jaqueline Hoang Nguyen, Keesic Douglas et Mass Arrival

Avec le soutien du Service de Coopération et d’Action Culturelle du Consulat Général de France à Québec, de la Région PACA, de l’Institut Français et de la Ville de Marseille, du Conseil des Arts de Montréal, du Ministère de la Culture et de la Communication Français, sous-direction des Affaires Européennes et Internationales et de la Friche la Belle de Mai.

Commissariat : Anne-Marie St-Jean Aubre
3 - 19 octobre 2014, vernissage public le jeudi 2 octobre à 18h
Petirama, Friche la Belle de Mai, 13003 Marseille

Anne-Marie St-Jean Aubre, commissaire et critique d’art en résidence québécoise dans le cadre de l’échange entre la Fonderie Darling (Montréal) et Astérides (Marseille), présente ENTRE-DEUX, un projet d’exposition qui amorce une réflexion sur les enjeux de l’immigration et de la colonisation abordés sous différents angles par des artistes canadiens et français.

Ce premier volet comprend les œuvres vidéos de quatre artistes canadiens, Milutin Gubash, Jacqueline Hoang Nguyen, Keesic Douglas et le projet Mass Arrival. Elles serviront de point de départ pour engager un dialogue avec des artistes français qui réfléchissent également à cette réalité sociale et politique. En écho avec le contexte de résidence, l’exposition ENTRE-DEUX est envisagée comme un espace de recherche où est visible une pensée en développement plutôt qu’une proposition finale et aboutie.

Texte curatorial :

Si on se fie à une déclaration faite par le Premier ministre canadien Stephen Harper lors du Sommet du G20 à Pittsburgh en 2009, le Canada n’aurait pas d’histoire coloniale. Cette vision de l’histoire nationale repose sur une conception largement partagée du Canada comme une société ouverte, tolérante et respectueuse des différences parce qu’il s’est développé par l’immigration. Une telle image se reflète aujourd’hui dans ses principales institutions politiques, comme la loi sur les langues officielles de 1969, la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 et la loi sur le multiculturalisme de 1988, adoptées toutes trois sous des gouvernements dirigés par le Premier ministre Pierre Elliott Trudeau.

Pourtant, le récit de la constitution du Canada, fondé en 1867 par deux nations, les descendants des colons français et britanniques, est déjà polémique car il suggère plusieurs interprétations. Il annonce pour certains une identité nationale impliquant d’ores et déjà la diversité, et donc ouverte aux différences. Pour d’autres, il vaut pour un pacte scellant une entente entre deux nations au poids historique irrévocable face aux autres cultures, une position défendue notamment par le Québec. Il rend également tangible l’invisibilité des Amérindiens, puisque ce qu’il fait l’impasse sur leur présence préalable au sein du territoire. Il reste aujourd’hui 617 Premières nations reconnues et dispersées à travers le pays.

Cette histoire passe ainsi sous silence les politiques d’exclusion pratiquées par le gouvernement canadien depuis sa création. Il s’agit par exemple du refus de respecter ses engagements à l’égard des populations autochtones, qui sont prévus par des traités devant faire force de loi. La reconnaissance du droit à l’autodétermination de ces peuples a progressivement cédée le pas à la mise en œuvre d’une politique d’assimilation culturelle cristallisée par la Loi sur les Indiens. Elle semble aussi aveugle aux discriminations exercées à l’endroit de milliers d’ouvriers chinois embauchés afin de construire le chemin de fer visant à unifier le pays, « d’un océan à l’autre », au tournant du vingtième siècle. Ceux-ci se sont effectivement vus refuser l’octroi des droits et libertés propre à la citoyenneté canadienne.

L’image que projette la société canadienne n’a donc jamais fait l’objet d’un consensus parmi les citoyens; en effet, son histoire s’avère du départ fragile, complexe et contestée. Les artistes choisis dans l’exposition ENTRE-DEUX annoncent à leur façon ce qu’est le Canada, en empruntant des chemins de travers aux accents politique, activiste, économique et familial. Ensemble, ils font apparaître des écueils, des absences ou des témoignages qui viennent troubler la surface d’un discours national moderne qu’on voudrait lisse, unitaire, linéaire. Keesic Douglas, Milutin Gubash, Jacqueline Hoang Nguyen et le collectif Mass Arrival fouillent les archives et les journaux et abordent tour à tour des expériences familiales, des faits divers ou un trajet qui rappelle les routes commerciales de la traite des fourrures. Ce faisant, leurs œuvres insistent sur les contextes singuliers dans lesquels sont ancrés leurs expériences, qui influencent leur compréhension de ce récit national. Les questions de la construction et de la transmission de l’histoire sont également soulevées par ces artistes, qui multiplient les points ENTRE-DEUX de vue sur une matière première historique invitant nécessairement aux interprétations et, de ce fait, se voit teintée d’une part de subjectivité et de fiction. Ainsi, les œuvres réunies dans ENTRE-DEUX élaborent une autre version de l’histoire canadienne, moins consensuelle, qui se déclinerait de la façon suivante :

Depuis l’ère Trudeau, la perception du Canada à l’étranger est celle d’une terre d’accueil, d’un pays accessible, ce qui fait la fierté des Canadiens qui se targuent d’être ouverts à tout type d’immigration, même la plus improbable, celle venue de galaxies lointaines. Pourtant, l’arrivée massive d’immigrants à différents moments de l’histoire n’a pas toujours suscitée l’accueil escompté, certaines populations comme les Tamouls se voyant suspectées d’être associées à des groupes territoristes, d’autres étant rapidement renvoyées dans leur pays d’origine ou encore employées comme main d’œuvre bon marché, travaillant dans des conditions précaires, ce qui fut le cas notamment lors de la construction du chemin de fer transcanadien. Une situation qui donne à réfléchir compte-tenu que l’arrivée des Européens en Amérique, amenant avec eux des maladies qui ont contribué à la décimation de populations indigènes, des armes et de l’alcool qui ont causé des torts inestimables à ces mêmes populations qu’on a cherché par la suite à assimiler par toutes sortes de tactiques, comprend ses épisodes de violence qui ne sont pas ouvertement assumés. Ce qui soulève la question de la distinction entre une bonne et une mauvaise immigration, et des critères développés au sein des politiques d’immigration pour justifier cette distinction. De nombreux facteurs poussent à l’immigration, soit des conditions de vie difficiles dans le pays d’origine ou une situation politique intenable. Une fois reçu, d’autres défis s’imposent: la non reconnaissance des compétences professionnelles qui poussent les immigrés dans des carrières qui n’ont aucune commune mesure avec leurs perspectives professionnelles précédentes, la barrière de la langue, la méfiance, et un éloignement culturel qui crée des ambiguïtés, des silences, des incompréhensions entre parents et enfants ne s’intégrant pas de la même façon à leur nouvelle réalité.

Texte d’Anne-Marie St-Jean Aubre, commissaire de l’exposition