Le prix du ticket
Exposition personnelle d’Aline Bouvy
Curatée par Victorine Grataloup, Marie de Gaulejac et Thomas Conchou
3 février - 2 juin 2024, prolongée jusqu’au 1er septembre, vernissage public le vendredi 2 février de 17h à 22h
Panorama, Friche la Belle de Mai
Une exposition co-conçue et co-produite par Triangle-Astérides et La Ferme du Buisson, centres d’art contemporain d’intérêt national
En co-production avec la SCIC Friche Belle de Mai et en partenariat avec Kultur | Lx, le Ministère de la Culture du Grand-Duché de Luxembourg, le GMEM - centre national de création musicale, le Conservatoire Pierre Barbizet - INSEAMM et Bi-pole
Une haute grille ourlée comme une lèvre, ornée d’un œil et de larmes, barre l’espace d’exposition dès son entrée. D’un côté : des costumes pendent du plafond, esquissant une faune sous-marine spectrale. De l’autre, pour qui pourra entrer : une sculpture monumentale — mi-visage grimaçant, mi-jambes entrouvertes d’où s’échappent d’étranges cris — et une cabine de verre sans tain se font face, au milieu d’un parcours auquel incitent, au sol, de larges jetons. Des murs aux œuvres, tout est blanc. « D’un blanc presque trop blanc », pour reprendre les mots de l’artiste Aline Bouvy.
Si l’exposition dessine un paysage théâtral, semblant inviter le spectateur ou la spectatrice à jouer un rôle actif dans une inquiétante pièce immersive dont il·elle ne maîtriserait pas totalement les termes, ce n’est pourtant pas de l’espace scénique que se joue Aline Bouvy mais de celui, tout aussi codifié, des parcs d’attraction et parcs à thèmes.
En France ceux-ci font irruption dans les années 1980, mais sont les héritiers des traditionnelles fêtes foraines ainsi que des expositions universelles et coloniales (dont deux ont eu lieu à Marseille, en 1906 et 1922) nées du XIXe siècle. L’espace d’exposition du Panorama, inauguré pour Marseille Capitale européenne de la culture en 2013, en est un lointain parent : « son immense baie vitrée fonctionne comme un panoptique, le point de vue surélevé sur la ville confère un sentiment de grandeur et de puissance comme dans une tour de contrôle dans laquelle on devient l’observateur·rice distancié·e d’un monde devant soi. »
Le titre de l’exposition, Le prix du ticket, joue sur le double sens du mot prix : il s’agit tout à la fois de ce dont le public doit matériellement s’acquitter pour entrer dans un parc d’attraction, pour en franchir les grilles ; mais aussi sur un plan symbolique de ce qu’il en coûte, de ce que l’on doit sacrifier. Car la monochromie des œuvres invite elle aussi à un glissement de sens : de la blancheur à la blanchité, impliquant dans un cas comme dans l’autre une prétendue neutralité, un certain ordonnancement du monde — une cruelle fiction blanche.
Aline Bouvy (née en 1974 en Belgique, vit et travaille entre la Belgique et le Luxembourg) explore de nombreux médiums tels que la sculpture, le dessin, la photographie, le son. Entre 2000 et 2013, l’artiste a travaillé en collaboration avec John Gillis et a également co-fondé le collectif féministe « The After Lucy Experiment » avec Claudia Radulescu, Delphine Deguislage, Charlotte Beaudry, Céline Gillain et Aurélie Gravas (de 2010 à 2015). (…)
Elle interroge notre rapport au corps et à l’espace pour nous inviter à de nouvelles expériences sensorielles à la fois séduisantes et repoussantes. Le corps devient ici un médium. Entre désir et empathie, des formes et des langages se révèlent là où il est difficile de faire advenir une image ou une parole.Si ses œuvres contiennent une forte charge sensorielle liée à l’identité et aux tabous, l’histoire des corps, tant masculins que féminins, est ici convoquée dans son rapport latent et sexuel, domestique, intime et politique. (…)
En revisitant la lente trajectoire utopique d’une culture en train de se détourner des modèles dominants du patriarcat et de l’hétéronormativité, la libido délivrée de toute morale, sans jugement, destitue ces corps incarnant l’autorité d’une société qui surveille et enferme nos corps. Cette mise à nu du monde sous surveillance lui permet de détourner les codes tant esthétiques que politiques du pouvoir et de la domination afin de déstabiliser nos repères. (…) (biographie par Marianne Derrien, courtesy de l’artiste)