Vos désirs sont les nôtres
Exposition collective avec Maayan Amir & Ruti Sela, Pauline Boudry/Renate Lorenz, Kudzanai-Violet Hwami, Jean-Charles de Quillacq, Roee Rosen, Liv Schulman et Ghita Skali
Commissariat : Marie de Gaulejac et Céline Kopp
29 juin — 21 octobre 2018, vernissage public le 28 juin de 18h à 22h
3e étage - Tour Panorama, Friche la Belle de Mai
Le titre de cette exposition en est le souffle premier. Vos désirs sont les nôtres s’adresse à vous, à nous, à elles, à eux. Il détourne l’expression connue en français : « Vos désirs sont des ordres », au sens radicale et violent, pour venir y insérer de manière floue du doute, de la pulsion et du frottement rattachés à des corps. Cette adresse avant tout charnelle et sensuelle laisse parler ces corps pour en agencer les désirs. Le mot désir, si fréquemment utilisé pour formuler une demande, ou exprimer un besoin, a ici pour enjeu contraire, celui d’amener de la permutabilité et de la mobilité dans notre rapport au réel et à la fiction.
« Le désir est constructiviste ». C’est ce qu’affirme Gilles Deleuze dans son célèbre abécédaire lorsqu’il en parle comme « un ensemble » ou comme « un paysage ». C’est sur cette idée de construction que les œuvres réunies ici de Maayan Amir & Ruti Sela, Pauline Boudry/Renate Lorenz, Kudzanai-Violet Hwami, Jean-Charles de Quillacq, Roee Rosen, Liv Schulman et Ghita Skali échafaudent les maux, les différences, les aveuglements et les addictions de chacun.e.s face au consentement. Ce sont différentes visions interprétatives, provocatrices parfois mêmes sarcastiques, que chacun.e.s des artistes apportent pour constituer leur « ensemble », leur narration.
Face à l’autorité, Ghita Skali scénographie les lieux de pouvoir ; partant de faits réels, l’artiste évide et secoue les formes autoritaires absolues. Kudzanai-Violet Hwami s’attache à représenter la famille et l’espoir. Sa peinture affirme les corps et s’engage à leur donner le droit de se définir eux-mêmes.
L’idée de souffle énoncée précédemment évoque la respiration, un des sens moteur présent notamment dans les vidéos de Roee Rosen, Liv Schulman ainsi que dans la manipulation de la corde par Jean-Charles de Quillacq. Ce souffle met en action les corps quasi nus, eux mêmes catalyseurs de nonchalance humide ou accélérateurs de violences intrusives que l’on retrouve aussi dans la trilogie de Ruti Sela, où les images osent lier « le sexe au capital et la guerre miroir de la production (1) ».
À présent le toucher ; les tableaux de cheveux de Pauline Boudry/Renate Lorenz donnent un ancrage important à l’exposition. Ces œuvres postiches sont un retour à la matière, à la sensation de carnation et nous rapprochent de notre propre corps sexué en travaillant l’altérité et proposant le contact par cette enveloppe physique.
Enfin placée en agora, une vision de la ville de Marseille, habitée par son présent post-colonial et ses écarts identitaires violents, est investiguée depuis le port de Jaffa. La proposition conjointe faite par Roee Rosen et Ruti Sela - spécialement réalisée pour l’occasion - questionne le décentrement. Un publi-reportage touristique sur Marseille, tourné de manière absurde dans une autre ville. Cette collaboration intersectionnelle menée avec un groupe d’étudiants de Ruti Sela et Roee Rosen évoque tour à tour les troubles, les pulsions de contrôle, les excitations et les réticences chauvines d’acteurs importants de la cité phocéenne. Un enchevêtrement de portraits teinté d’humour grinçant et de narrations nébuleuses, vagues et spéculatives. Un travail en cours fraîchement tourné et présenté comme tel dans un mode volontairement simple et documenté.
Vos désirs sont les nôtres est une introspection par les fluides, une approche inconsciente de nos peurs ayant de nombreuses affinités avec la théorie critique de Paul B. Preciado dans son célèbre ouvrage Testo Junkie, sur le contrôle pharmacopornographique du biocapitalisme contemporain. La description d’une ère où l’industrie pharmaceutique et l’industrie audiovisuelle sont à la fois maîtres et producteurs « d’idées mobiles, d’organes vivants, de symboles, de désirs, des réactions chimiques et des affects (2) ».
De récits en récits, images après images, cette exposition convoque les êtres où les corps s’attirent, se repoussent, une sensation d’exister proche du vide.
(1), (2) : Paul B. Preciado, Testo Junkie : sexe, drogue et biopolitique, Editions Grasset, Paris, 2008, p. 37, 50.