Triangle-Astérides

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avril 2020

The First Kiss Project

Rafael RG

Originellement publié en anglais sur le compte Instagram de Triangle-Astérides, The First Kiss Project est un travail d’écriture en deux volets, amorcé par Rafael RG durant sa résidence confinée. 

Partie 1 :

Nous ne pouvions plus sortir dans les rues. Nous ne pouvions plus nous toucher.

J’ai dit à ma colocataire que j’allais au supermarché. Je lui ai demandé si elle voulait quelque chose ; elle a répondu non. Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter : je laisserais mes chaussures à l’extérieur de l’appartement, je laverais mes vêtements, je nettoierais les courses – toutes ces nouvelles procédures que nous suivons chaque fois que nous sortons dans la rue…

En réalité, je suis allé à la gare Saint-Charles pour te rencontrer. 1,5 mètre de distance, ou peut-être 2 – je ne suis pas très bon avec les mesures. Au moins, j’ai eu l’occasion de te voir une dernière fois et de te dire bonjour, sans enthousiasme. Nous n’avons pas pu nous empêcher de rire, une situation à la fois comique et triste. Il n’y avait pas grand-chose à faire, alors tu es parti et je suis allé au Carrefour City, même si je n’avais rien de particulier à acheter. Mais je me suis dit que ce serait étrange de rentrer chez moi les mains vides.

Pour éviter de toucher les poignées de porte et les boutons d’ascenseur, j’ai pris l’escalier jusqu’au 4e étage. J’ai laissé mes bottes à l’extérieur et je suis allé directement à la salle de bain. Je suis entré dans la douche, j’ai allumé l’eau chaude et je suis passé sous l’eau qui tombait, toujours habillé, avec mon masque, mes gants et mes sacs de courses : des bocaux de sauce tomate, des liégeois à la crème fraîche, du brie, et quelques bouteilles de bière. Tout était trempé alors que j’essayais de comprendre à quoi ressembleraient les jours à venir.

Dans le studio improvisé dans ma chambre, j’ai esquissé quelques idées. « Premier Baiser, une Introduction » en faisait partie. Je ne voulais pas quitter Marseille avec le sentiment d’un travail inachevé.

Pendant la résidence, avant le confinement, nous avions prévu de visiter des maisons de retraite. Des personnes âgées, des immigrants, des rêveurs, des gens remplis d’histoires de vie. Je voulais parler, écouter ces histoires. Échanger des récits, des histoires de premier baiser. Des souvenirs intimes d’un événement banal dans la vie de beaucoup d’entre nous. Des souvenirs de jeunesse, parfois empreints de douleur, de désir ou de rêves. « Revisiter le passé pour renforcer nos désirs d’aujourd’hui », ai-je dit à un ami en lui expliquant le projet.

Ce mois-ci, le mois où j’aurais dû terminer ma résidence, nous partagerons ici quelques histoires. Des personnes qui ont croisé mon chemin pendant mon séjour à Marseille. Des histoires sur le premier baiser de certaines de ces personnes. (traduit de l’anglais par Triangle-Astérides)

Partie 2 :

T.

Mon premier baiser n’était pas mon premier baiser. Mon premier était probablement mon troisième, mais c’est le premier parce que je l’ai voulu. Mon 0 et mon -1 m’ont été volés dans des jeux d’enfants et des absurdités d’adultes. J’avais tout ce qu’il fallait : la personne, ce sentiment puissant qu’est l’engouement, le déguisement de l’amour, et la technique sur la façon dont deux lèvres se rejoignent pour se toucher, malgré d’autres traits du visage qui s’interposent – le nez et la moustache, dans mon cas.

Pour mon premier baiser, je m’étais entraîné, utilisant le côté d’un doigt, qui n’a pourtant rien d’anatomiquement identique à deux lèvres. Je ne savais pas où ce baiser aurait lieu, je savais seulement qu’il aurait lieu, et c’était déjà suffisant.

« Let’s take a walk on the wild side, let me kiss you hard in the pouring rain » – c’était mon premier baiser. Je l’aimais en l’embrassant, et je l’ai embrassé comme il fallait. Une négociation fulgurante entre la peur et le délice.

La peur parce que nous aurions été jetés en prison si les gens dans la voiture avaient prêté attention à nous. Et le délice parce que je l’aimais. Nous courions sous la pluie pour éviter la pluie. Nous ne pouvions pas nous tenir la main, mais nous pouvions rester à une longueur de souffle l’un de l’autre.

Nous avons ri comme des enfants renaissants, bien que nous ayons ensemble quarante années d’âge accumulées. Le délice était notre promenade sur le côté sauvage.

Ibadan, Nigeria.

Images : Extraits choisis du Criminal Code Act et du Same Sex Marriage (Prohibition) Act signé en 2013 par l’ancien président nigérian Dr. Goodluck Jonathan.

« […] Pendant ma résidence, avant le confinement, nous avions prévu de nous rendre dans des maisons de retraite. À la rencontre de personnes âgées, d’immigrants, de rêveurs, de gens avec des tas d’histoires de vie. Je voulais parler, et écouter leurs histoires. Échanger nos histoires, des histoires de premier baiser. Souvenirs intimes d’un événement banal dans la vie de la plupart d’entre nous, souvenirs de jeunesse, de douleur, de désirs, de rêves….

« Se remémorer le passé pour donner plus de force à nos souhaits d’aujourd’hui » ; j’expliquai à un ami en parlant du projet.

Ce mois-ci, le mois qui aurait dû marquer la fin de ma résidence, nous partagerons des histoires ici. De personnes dont j’ai croisé le chemin à Marseille. Les histoires de leur premier baiser. »

Rafael RG est un artiste et écrivain brésilien basé à Salvador de Bahia, en résidence à Triangle France - Astérides de janvier à avril 2020. Sa pratique s’articule autour des relations sexuelles et affectives et de leurs implications politiques, ainsi qu’aux problématiques liées à l’identité raciale.
Sa performance Tug of War, développée avec Perlla Ranielly et prévue le 31 mars 2020, a été annulée suite à la fermeture de nos locaux aux publics.