Triangle-Astérides

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Sandrine Raquin

De 1992 à 2004

Sandrine Raquin est co-fondatrice d’Astérides, avec Gilles Barbier, Jean-Christophe Nourisson et Claire Maugeais en 1992.

Sandrine Raquin est née en 1965 à Paray-Le-Monial (FR), elle vit et travaille à Marseille (FR)

Il y a, au cœur du travail de Sandrine Raquin, une histoire de lieu, un conflit de topologies dont le décalage, à partir duquel elle nourrit en permanence son regard, stigmatise les déplacements et les imprécisions. Sandrine Raquin organise une lecture parallèle des cartes du monde autour d’un jeu de transparence et de superposition.

Sur un graphique de l’état mondial de la consommation des drogues, l’artiste inscrit « s’attendre encore à une issue ». Elle utilise graphiques et planisphères comme autant de bases de données qui permettront une relecture des choses par l’apposition et le détour de l’aphorisme. Les commentaires empreints de la solennité quelque peu éculée du proverbe, marquent tendrement ou avec le plus profond cynisme la misère humaine. Mais bien plus encore, l’artiste pointe au fil de ces déclinaisons de cartes, un refuge topologique, l’espace intellectuel de l’imposition technicienne, normative et comparative.

Il devient le maître-étalon de notre regard sur le monde d’autant mieux qu’il élabore les voies d’accès au réel (supposées) en parfaite tautologie avec ses lois de mesure et de développement. Les graphiques abondent. Pourtant, les remarques ne se limitent pas au simple effet d’ironie. Elles parlent d’un autre lieu, celui-là même que les cartes finissent par transformer en données abstraites.

La proximité de certains mots dérange. Aussi, au niveau politique (dans son acceptation la plus large), notre société de médiation désigne le long procès de distanciation et de désengagement. On parlera alors plus volontiers d’un manque de maturité au sujet des mots espoir, sentimental, honnêteté, désillusion…

Il y a à travers cet apparat ludique des travaux de Sandrine Raquin, outre un renvoi dos à dos de la vulgarité avec laquelle nous confortons notre lecture des sociétés dans des positions de plus en plus intenables, ridiculement fragmentées, la question d’un langage adulte. À quelle réalité devrons-nous plier chacune de nos exigences ? Quelle perte l’entrée dans la parole adulte entraîne-t-elle ?

Le constat ne suffit donc pas. Opposer une structure à une autre c’est encore se soumettre à sa loi, c’est encore se pardonner l’acte d’aveuglement. Sandrine Raquin veille à ne pas cloisonner son travail. Le sujet ne doit pas se substituer au processus de réflexion. Cartes et diagrammes sont des prétextes, autant de moyens qui, par une rhétorique du détournement, mettront en valeur la richesse individuelle. L’artiste préfère parler de flux, d’imprécision, de malléabilité : elle fait primer la flèche sur le point, la direction sur l’endroit, le doute sur la certitude.

Peu à peu l’appréhension linéaire de l’espace qui faisait écho à l’imposition schématique de la statistique, fait place au décollement, à une lecture des événements par superposition (les cartes sont peintes ou gravées sur Plexiglas et montées sur des socles transparents dont la tranche délimite des régions).

Le décollement est aussi une figure, un critère que l’artiste immerge à l’intérieur de son espace mental : une volonté de laisser du jeu, la possibilité donnée aux objets de se modifier, de tisser des liens entre eux. Fuir l’enfermement comme horizon possible de toute pratique en cherchant les moyens d’une autonomie symbolique des objets.

La superposition des espaces rend compte des conflits de topologie, ces lieux à partir desquels les différentes formes de langages et les possibilités de compréhension du monde se structurent, d’où le doute que Sandrine Raquin érige en paradigme. Elle rend également compte d’un espace de lecture fluide et aléatoire car l’œil n’est plus contraint au plan et à la direction unique du diagramme. On peut voir à travers.

Sandrine Raquin poursuit cette idée de décollement à travers les flèches et les légendes qu’elle dispose sur des peintures de nuages. Ce geste souligne ces mouvements profonds de disséminations, cette capacité des choses et plus particulièrement de leur sens à se déplacer, à jouer dans l’anticipation, contre toute attente. La turbulence du cumulo-nimbus devient sur un mode métaphorique l’image redoutable de l’imaginaire : cela ne fonctionne que dans le flux sans idée possible de territoire.

Ainsi Sandrine Raquin explore la densité de l’espace subjectif par le biais d’une imagerie statisticienne. Si l’on ne peut tracer des lignes de démarcation alors l’avancée doit se faire par un retour incessant, une sorte de territoire qu’il faudrait sans cesse hachurer afin d’y expérimenter les voies de son propre déplacement (« minutes de silence »). La réalisation des œuvres détermine un temps de projection des travaux futurs. Chaque œuvre trouve sa liberté dans le champ d’une autre.

Cette interdépendance entre son regard sur les événements, sur soi, les autres et sur son travail montre l’urgence qu’il y a à tenir une position d’honnêteté sans laquelle, l’artiste tomberait dans le travers des procès qu’elle met en évidence.

— Texte de Frédéric Brice, 2003